L’embuscade by Guillaumin Émilie

Auteur:Guillaumin, Émilie [Guillaumin, Émilie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
Éditeur: HarperCollins
Publié: 2021-08-25T09:54:52+00:00

J’étais en train de me servir un verre d’eau dans la cuisine quand Lucas m’a effleuré le bas du dos. Cela faisait une semaine que je changeais ses draps quand il était à l’école. Nous agissions tous les deux comme si une fée éliminait d’un coup de baguette magique les flaques de pipi. Depuis que la délégation était venue frapper à la porte de notre maison, il s’était refermé. Même sa voix avait changé. Je me sentais responsable de la débâcle. J’ai serré son corps frêle dans mes bras. Il portait le vieux pyjama de velours râpé qui avait appartenu à Cédric enfant et ses chaussures de football.

— Maman, l’armée, elle a perdu papa ?

Il avait l’air si fragile.

— Oui, mon amour, et il n’y a que moi qui sais comment le retrouver.

Je ne suis plus arrivée à réprimer mes larmes. J’ai enfoui mon visage dans sa nuque. J’éprouvais une joie animale à me remplir de son odeur. La vie était là, dans mes entrailles, entre mes bras, collée à ma poitrine. Cédric vivait à travers lui. M’aimait dans une caresse d’Alexandre, continuait à se moquer de moi avec tendresse dans une pirouette d’Arthur. Cédric était désormais trois. Bientôt quatre, j’ai songé. La vie continuait. Comme pour donner du crédit à ce soudain regain de force, c’est ce moment qu’Arthur a choisi pour faire irruption dans la cuisine, le visage encore rosi par le bain. Il était harnaché comme un commando. Il avait dû se glisser dans le bureau de Cédric pendant la nuit puisque j’ai reconnu, flottant à ses pieds, sa paire de rangers. Il avait également enroulé plusieurs fois autour de son torse une de ses vieilles ceintures.

— On va chercher papa ?

C’était moins une question qu’un ordre. Il tenait dans ses bras le fusil factice que Cédric lui avait offert à Noël dernier et qui avait suscité la jalousie de ses aînés. Il s’est approché de moi, a posé ses petites mains sur mes joues humides.

— Ne t’inquiète pas, maman, on va le retrouver !

Je n’arrivais plus à parler. J’avais fait bonne figure ces dernières semaines, j’avais été la femme solide que Cédric avait choisie. Mais là, c’était trop. C’est au prix d’un effort insoutenable que j’ai réussi à balbutier une réponse :

— Arthur, mon chéri, toi, tu vas rester à la maison pour veiller sur tes deux grands frères et ta grand-mère, pendant que moi je pars en mission, c’est OK ?

Cédric lui avait appris la signification de ce « OK1 » sur le terrain.

— Non ! Je veux venir avec toi ! a-t-il hurlé.

J’ai jeté un regard à Lucas, toujours dans mes bras. La semaine dernière, en sortant de la salle de bains, au lieu de descendre à la cuisine pour préparer le dîner, j’avais poussé la porte du bureau de Cédric. J’étais restée quelques minutes dans la pièce, désœuvrée. J’avais touché la surface plane du bureau. J’avais humé une odeur identique à celle du régiment : déodorant, poussière sablonneuse, quelque chose de l’ordre de

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